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Marie TAVERA, plasticienne et poète

Née à Paris en 1974, récemment arrivée en Ardèche après trente ans vécus en Suisse.
Trois axes de travail : écriture poétique, dessin, lecture en improvisation au sein du duo Narval.
Dans ma pratique picturale comme dans ma poésie, je cherche une focale qui dise à la fois l'adossement au tangible et son affranchissement: le lieu qui vient, qui est perçu, qui échappe.

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" Les travaux qui continuent longtemps de résonner pour moi sont toujours des dessins ou des textes dans lesquels j'ai traversé quelque chose, j'ai transgressé une norme que je m'imposais ou je me suis laissée totalement désorienter par mon propre geste. Et que je peux ne pas aimer, ne pas comprendre, dans un premier temps. C'est souvent le résultat d'une fatigue, d'une exaspération voire d'une rage, ou au contraire d'une espèce de calme qui me permet de m'absenter finalement, et « ça » dessine (ou écrit)."

Tu te sens plutôt créatrice, co-créatrice, inventeuse, artisane, interprète, … ?

Aucun de ces mots ne me parle en fait, je me sens en travail, ou travaillée, par quelque chose qui se rattache à l'art, mais qu'est-ce qu'on met sous ce mot-là ?

C'est identitaire en tout cas, et ça ne dépend que secondairement d'une « production artistique ». Un peu à l'image de l'identité sexuelle : qu'elle soit assumée, bien ou mal vécue, elle existe et ne constitue pas un choix. Donc c'est d'abord hors des questions de reconnaissance / catégorie socio-professionnelles que ça se joue je crois, sur un plan très intime, qu'à un moment donné il devient possible ou nécessaire de choisir, de développer, de « créer », pour le coup !

Parmi tes œuvres, quelle est celle que tu aimes le plus et pourquoi ?

Les travaux qui continuent longtemps de résonner pour moi sont toujours des dessins ou des textes dans lesquels j'ai traversé quelque chose, j'ai transgressé une norme que je m'imposais ou je me suis laissée totalement désorienter par mon propre geste. Et que je peux ne pas aimer, ne pas comprendre, dans un premier temps. C'est souvent le résultat d'une fatigue, d'une exaspération voire d'une rage, ou au contraire d'une espèce de calme qui me permet de m'absenter finalement, et « ça » dessine (ou écrit).

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Vache, 30/50, 2009

Ce dessin de vache a marqué un vrai passage vers un lâché du trait : je n'en pouvais plus de suivre ces vaches, sur un alpage, un été, sans jamais réussir à capter leur masse, leur mouvement, et il y a eu cet espèce de moment électrique, ça m'a presque donné la nausée d'oser lâcher mon trait. Je n'ai plus ce dessin, je l'ai perdu, mais il m'en reste une photo, et surtout, l'héritage : oser lâcher mon trait. D'autres dessins ont pu, par exemple, m'ouvrir à l'autorisation de l'effacement, du « pas propre », et c'est la même chose dans l'écriture.

 

chair ouverte des mottes chaque point libre

friable sol fendu

j'émiette le tapis le rapace saisit les directions sous lui

et les jette

Qu’est-ce qui te donne envie de créer ?

 

Souvent la lumière. Mais ça peut être n'importe quoi en fait : un bruit, une sensation tactile ou visuelle, quelque chose qui passe par mes sens. La nature, les présences végétales et animales qui m'entourent. ET, régulièrement, le travail des autres, ça c'est très important aussi : voir, lire, écouter, découvrir l’œuvre d'autrui. C'est un peu à double-tranchant, ça peut être paralysant parfois, mais c'est primordial pour moi, c'est une vraie nourriture, et donc je suis toujours curieuse du travail des artistes, et la question de savoir si j'aime ou non est sur un autre plan.

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Vue de l'atelier - Série des grandes collines

Qu’est-ce qui t'éloigne de la création et comment fais-tu pour en retrouver le chemin?

 

TOUT et n'importe quoi peut m'en éloigner. Notamment mon propre manque de confiance et tout le discours intérieur de manque de légitimité / de compétences etc. Mais en premier, je dirais : ne pas pouvoir disposer d'une certaine intimité, d'un accès à une certaine forme d'attention. Un trop grand manque de solitude peut m'éloigner beaucoup de la création, être tout le temps avec des gens, qui que ce soit et aussi agréable, stimulant ou profond que ce soit. Parfois aussi : une trop grande excitation, une trop grande impatience à créer, qui devient impuissance. Ranger mon atelier peut être une assez bonne stratégie de « retour », ou faire tout à fait autre chose pour un temps. N'importe quoi peut me ramener en fait, à un moment ça revient, c'est tout. Mais ça peut être aride, en attendant !

Nul n'a jamais atteint davantage, en tant qu'état extrême, que la disponibilité.

C'est Rilke qui dit ça et ça me parle beaucoup.

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Petites collines - Série, Ce qui a lieu - 20/70, 2018

Dans ton expérience, quels sont les liens qui existent entre idée, matière, corps et création ?

 

Les idées sont toujours nombreuses, leur mise en œuvre, leur réalisation dans la matière est bien plus lente et rare, et en même temps il y a une dynamique qui existe comme ça, avec cette sorte de boitement entre un trop et un pas assez. Quant au lien avec mon propre corps, il est fort, je peux être emmenée dans un élan artistique par un ressenti corporel d'énergie, de santé, et totalement freinée, empêchée, par un mal-être physique. J'ai de la peine à dissocier les deux. Mais ça fonctionne aussi dans l'autre sens, d'ailleurs : l'investissement dans l'attention, dans le travail, peut engager un mieux-être du corps.

Pourrais-tu nous raconter ce qui se passe à l’intérieur de toi quand tu es en train de créer (en nous donnant un exemple) ?

Alors justement, c'est souvent très corporel, quelque chose dans les jambes, dans le ventre aussi, une force, un truc, une puissance. Quelque chose de l'ordre du désir et de la force, c'est quelque chose qui monte et je peux avoir besoin de bouger, de faire des gestes avec mes pieds, mes mains, de chanter ou de faire des sons, si je suis seule je laisse ça venir, sinon c'est beaucoup plus intériorisé, comme un chantonnement. Mais je le contiens aussi, parce que ça peut aller vers une dispersion. C'est de l'ordre de l'intensité en tout cas, et beaucoup dans les jambes.

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Rituel installation sonore avec série Fougères - Vue expo Genève, 2017

Comment sais-tu qu’une œuvre est terminée ? A quoi le reconnais-tu ?

Pour les dessins, peintures etc c'est une forme de mouvement, que ça puisse bouger. Pour les écrits c'est différents, je peux y revenir à plusieurs reprises, et qu'il y ait plusieurs versions « finies », simplement la prochaine sera encore un peu plus finie, je sais pas, c'est un processus qui est bien plus sur la longue durée avec l'écriture.  Disons qu'à un moment donné j'en propose un état, potentiellement évolutif.

Qu’est-ce que tu aimerais dire à celui ou celle qui n’ose pas se lancer dans un processus créatif ?

 

Tu n'as qu'une vie et c'est maintenant.

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Litière de la lumière, Leporello, 30/400, 2017

Si tu avais un livre, un artiste, une œuvre qui t'a touchée et que tu aimerais nous faire découvrir … ?

 

Beaucoup d'oeuvres comptent, mais il y a une triple découverte qui a été énorme dans ma vie, et qui reste totalement agissante, inspirante, accompagnante, c'est celle du poète André Du Bouchet, puis à partir de ses poèmes que je continue de lire et relire, j'ai découvert l'oeuvre de son très grand ami Pierre Tal Coat, un peintre essentiel mais également quelqu'un qui a écrit des textes magnifiques sur son travail, dans une langue âpre et vibrante. Enfin, à partir justement des textes de Tal Coat, sur lesquels je travaillais pour une lecture publique, j'ai découvert l'oeuvre du philosophe Henri Maldiney, qui a énormément travaillé la question de l'art, de son surgissement, et de toute la question de la présence, de la crise, et de la folie. Ces trois œuvres s'éclairent mutuellement, et m'éclairent, ça c'est sûr.

Une citation de Tal Coat, qui suffirait, comme réponse à ce questionnaire :

            Il y a toujours une partie de soi qui vous a devancé, la partie la plus prompte.

         C'est cette partie-là que j'essaie de mettre en route, si je puis dire, c'est celle qui risque le moins de se tromper.

Et si tu nous partageais ton meilleur remède contre le découragement ?

 

Une phrase de Henri Michaux, poète et peintre, un autre grand compagnon :

         Ne désespérez jamais. Laissez infuser davantage.

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